Lignes naturelles dans l'esthétique coréenne 2

Sōetsu Yanagi (1889-1961) est le chercheur et critique d’art faisant partie d’une minorité de japonais qui défendaient la culture coréenne sous l'occupation japonaise en Corée. D'après Yanagi, concernant les trois fondements de l’art, forme, couleur et ligne, l’esthétique de l’art chinois repose sur la forme, celle du Japon sur la couleur et celle de Corée sur la ligne : «Je dirais que l’affection du peuple coréen pour les lignes est omniprésente, partout, dans le village et son environnement naturel, dans l’architecture, la sculpture, la musique, même dans différents objets quotidiens. »

YANAGI Sōetsu, « La Corée et ses arts », 2013, chapitre L’art de Joseon

jarre de lune

Notamment le Dal hangari. Ces pots blancs et plutôt larges que l’on appelle « Jarre de Lune » reflètent la liberté d’esprit des céramistes par leur forme de globe imparfaite. Cette imperfection leur donne un aspect organique et mystérieux. La forme de chacune d'elles est unique, ce qui les distingue de la symétrie normée et de lignes au cordeau des céramiques chinoises et japonaises, ainsi que des premières porcelaine Joseon. Tout au long de la longue histoire du pays, la céramique coréenne a évolué tant pour ses techniques que son aspect esthétique exprimant la sobriété spirituelle et le respect pour la nature des artisans.


« [...] Les coréens préfèrent une réalisation à l’improviste, en fonction de leur humeur naturelle. [...] Leur état d’esprit est constamment libre et serein. On y éprouve un sentiment familier, on s’y attache de plus en plus avec le temps. Celle de la céramique coréenne s’inscrit sur la nature même. Elle n’est ni délibérée, ni recherchée, mais généreuse et chaleureuse. C’est une élégance naturelle, donc perpétuelle. »
YANAGI Sōetsu, chercheur et critique d’art japonais « La Corée et ses arts », chapitre La menuiserie de Joseon


Go Yu-seop (1905-1944), historien de l’art coréen connu pour ses travaux de recherche sur l’esthétique coréenne durant la période d’occupation japonaise, interprète les caractéristiques des arts populaires coréens comme étant basées sur des « techniques non délibérées », une « approche non raffinée », et un « état d’esprit d’indifférence ». Ici, les techniques désignent celles qui sont appliquées de manière instinctive, et l’approche est celle que l’on trouve dans le quotidien. Ces œuvres d’art populaire se caractérisent par l’irrégularité de leur forme, autrement dit une forme libre, dynamique et surtout asymétrique. Quant à l’état d’esprit d’indifférence, il se traduit dans l’utilisation de la matière dans son état brut sans aucune transformation, autrement dit dans un état naturel. D’où le caractère dynamique de l’esthétique de la linéarité, caractère que l’on trouve également dans la musique traditionnelle coréenne.
GO Yu-Seop, Comprendre les arts coréens 2 Sobriété populaire, Séoul, Dahal, 2005, chapitre « Caractéristiques et transmission des arts traditionnels coréens »

Ainsi, les arts populaires coréens se sont développés sur la base de techniques non maîtrisées, de façon anonyme et sans orgueil au point d’arriver à une forme de détachement de la conscience. Les arts populaires coréens reflètent donc l’esprit du peuple coréen désireux de mener une vie en harmonie avec la nature. Pour les coréens, l’esthétique n’est pas une chose à développer à part entière, elle dépend de leur vie ordinaire, en faisant partie intégrante. Les cultures populaires coréennes créées avec cette conception de la technique et l’esthétique se présentent avec calme et sans bruit, accompagnant de près le quotidien du peuple. L’attitude du peuple vis-à-vis de l’esthétique ressemble également à une technique non maîtrisée ...